Arnaud Gossement, avocat en droit de l'environnement
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Avocat en droit de l'environnement et de l'énergie, docteur en droit, maître de conférences à Sciences Po Paris, et ex-porte-parole de l’association écologiste France Nature Environnement, Arnaud Gossement a été omniprésent dans le débat sur la taxe carbone (Contribution climat-énergie). Après l’ajournement de cette mesure, décidé hier (23 mars) par le gouvernement, il répond aux questions de developpementdurable.com sur l’avenir de la fiscalité écologique et du Grenelle de l’environnement.
developpementdurable.com : Officiellement, le gouvernement a ajourné la mise en place de la taxe carbone pour « ne pas plomber la compétitivité » des entreprises françaises. Est-ce selon vous la véritable raison ?
Arnaud Gossement : Evidemment pas. Quand on parle de compétitivité des entreprises, de quelles entreprises s’agit-il ? L’industrie lourde s’est focalisée contre la taxe carbone parce que c’est un secteur qui émet beaucoup plus de gaz à effet de serre que les autres. Mais on ne parle jamais de l’industrie légère, celle qui fabrique des panneaux solaires, des matériaux éoliens, de nouveaux matériaux pour le bâtiment, qui produit de l’énergie renouvelable,... et qui est sobre en carbone ! Or cette dernière ne s’est jamais exprimée contre la fiscalité « verte ». Donc il ne faut surtout pas résumer la question de la compétitivité des entreprises à un nombre restreint d’entreprises.
Ce qui a tué la taxe carbone, ce n’est en aucun cas ce souci de compétitivité - je dirais même que cette taxe est une condition du développement économique de la France - cela tient en réalité au fait que le chef de l’Etat a confondu vitesse et précipitation : en juin 2009, Jean-Louis Borloo avait expliqué à la veille de la Conférence Rocard qu’il faudrait deux ans pour expliquer, faire de la pédagogie et affiner la mesure de la taxe carbone. Mais, en août 2009, Éric Woerth (ex-ministre du Budget, ndlr), parmi d’autres, a conseillé au président d’accélérer le dossier pour faire un coup à la veille de Copenhague et des élections régionales. Résultat : la taxe carbone est enterrée, les régionales ne se sont pas bien passées pour la droite, et Copenhague a été un four !
Certains acteurs du Grenelle ont par ailleurs changé de discours : je pense au Medef (Mouvement des entreprises de France, ndlr), qui refusait d’opposer écologie et économie mais qui recommence à le faire.
dd.com : Pensez-vous que ce dossier a été correctement présenté aux Français ?
A. G. : Bien sûr que non. Le gouvernement lui-même a beaucoup insisté sur le volet imposition de cette taxe - qui n’en est d’ailleurs pas une : il aurait plutôt fallu parler de bonus-malus fiscal ou de contribution climat-énergie - et largement délaissé le côté redistribution, qui est pourtant l’intérêt même de cette mesure. Si on avait parlé de la redistribution aux Français, si on leur avait expliqué que sans taxe carbone, les plus faibles se retrouveront bientôt seuls face à l’explosion des prix de l’énergie qui se profile devant nous, je pense qu’ils auraient mieux compris de quoi il s’agissait. Malheureusement, la pédagogie n’a pas été au rendez-vous.
dd.com : Certains affirment que c’est « la mort du Grenelle de l’environnement ». Partagez-vous cette opinion ?
A. G. : Pas du tout. Cela me fait penser au dialogue social : lorsqu’il y a des atteintes au droit du travail, des conflits sociaux durs, la société réclame un renforcement du dialogue social. Aussi, le rôle des associations aujourd’hui est de demander un renforcement du dialogue environnemental. Le Grenelle n’est pas mort, il dort. Il faut donc réunir de nouveau les acteurs autour de la table et les remettre face à leurs engagements de 2007. Il faut notamment rappeler au Medef, les yeux dans les yeux, qu’il avait milité pour la taxe carbone et refusé d’opposer écologie et économie... exactement le contraire de ce qu’il fait aujourd’hui !
dd.com : Le développement de la fiscalité écologique en France est-il compromis ?
A. G. : Il est clair qu’avant que l’on ne reparle de taxe carbone, des années vont passer. C’est le plus grave dans cette affaire. Cela dit, la fiscalité « verte » ne se résume pas à cette taxe : le dispositif du bonus-malus automobile a très bien marché et il serait temps de l’élargir à d’autres familles de produits pour redonner du pouvoir d’achat « vert ». Et il y a d’autres mesures fiscales, comme la taxe générale sur les activités polluantes, qui sont appliquées et que l’on pourrait également renforcer.
dd.com : Cette décision va-t-elle handicaper la France pour les négociations post-Copenhague de Bonn et Cancun ?
A. G. : La France avait abordé les négociations climatiques en se déclarant exemplaire, notamment parce qu’elle projetait de mettre en place une taxe carbone. Aujourd’hui, il est clair que la décision de l’annuler va peser sur sa crédibilité à la veille de la Conférence de Cancun. Cela étant, ce que j’espère, c’est que le projet de loi Grenelle 2 ne sera pas repoussé aux calendes grecques et voté avant l’été, comme le chef de l’Etat s’y est à nouveau engagé récemment. Ceci nous permettrait de redevenir crédibles dans la lutte contre le réchauffement climatique.
dd.com : Le gouvernement veut aujourd’hui attendre l’application de la taxe carbone au niveau européen avant de la mettre en œuvre en France. Mais y’a-t-il seulement une chance que l’Union se dote d’un tel dispositif ?
A. G. : Le débat est faussé parce qu’il faut d’abord donner une définition aux mots que l’on emploie : la taxe carbone européenne, la taxe carbone aux frontières, c’est quoi exactement ? Ces expressions recouvrent des réalités juridiques particulièrement différentes, une bonne dizaine de mécanismes peuvent se cacher derrière elles, et on ne sait même pas quel est le projet de la France. Donc lorsque le gouvernement dit qu’il subordonne l’instauration de la taxe carbone à un mécanisme européen aux frontières, j’ai envie de lui demander : quel est ce mécanisme ?
dd.com : Ne doit-on pas voir dans cette annulation le mariage impossible entre le social et l’écologie ?
A. G. : Il n’y a aucun mariage impossible parce que les plus faibles sont les plus exposés. On pourrait donner des milliers d’exemples aux conséquences de la pollution, du réchauffement climatique ou de la dégradation de la biodiversité. L’écologie est une condition de la justice sociale. Je ne pense donc pas que l’abandon de la taxe carbone signifie qu’il est impossible de marier le social et l’écologie. Au contraire, il n’a jamais été aussi urgent de protéger la santé et l’environnement des plus faibles.
Propos recueillis par Yann Cohignac
Derniers commentaires :
- Olivier Martinelli, 01 / 04 / 2010 - 16:44
- “Comme d'habitude, les réflexions d'Arnaud Gossement sont très pertinentes. La taxe carbone porte en elle-même le début de la refonte du système fiscal, qui contribuera à orienter les sociétés développées vers un nouveau modèle de développement (la Green Tech Economy), porteur de croissance et de prospérité.”
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